Le président de la République s’est exprimé aux Armées dans l’unique cérémonie de vœux catégoriels de l’année, ce 17 janvier dernier. Et il a lâché des points de toute première importance pour l’histoire de France, dont je relève surtout celle-ci: les Forces françaises restent en Syrie! Nos alliés des FDS (Forces démocratiques syriennes) ne doivent pas être lâchés. Car ils ont combattu, et combattent encore, Daesh.
Ce commentaire, d’apparence anodine, oriente clairement la politique étrangère française en Syrie. Il s’agit des Kurdes, regroupés dans une structure appelée YPG colonne vertébrale des FDS. Avec 20 000 effectifs, quasi entièrement issus de la population kurde de Syrie, les YPG (milice de défense populaire) forment un groupe aux deux fonctions: combattre Daesh, aspirer à un mini-Kurdistan syrien, et attendre de se faire trahir.
Le président ne dit toujours pas qui sont les Français qui travaillent avec les Kurdes. L’allié américain, qui fait ouvertement état de ses 2000 effectifs, a mentionné la présence de 200 Français, et voilà ! Les Français savaient qui voulaient savoir, et les autorités françaises n’ont pas pas eu besoin de le dire, or personne ne doit plus l’ignorer. Soit dit en passant, voilà une nouvelle doctrine de la défausse institutionnelle: laisser dire autrui, puis agir comme si chacun le savait de source officielle. Cela ressemble à la politique israélienne de ne jamais confirmer “le programme nucléaire supposé mentionné dans les journaux étrangers”. Toujours est-il qu’aujourd’hui, ces Forces spéciales de l’ombre françaises, dévoilées par un ministre américain, sont l’honneur de la France vis-à-vis des YPG, qui eux ont tellement aidé l’Occident à clouer Daesh sur place. Ces YPG souhaitent une autonomie dans le Nord-Est syrien, et ils ont un parti politique, le PYD.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a fait de la destruction du militantisme nationaliste kurde une priorité de politique intérieure et étrangère. Il suit en cela une vieille constante étatique héritée du kémalisme: les Kurdes n’existent pas en tant que peuple, et leur tentative d’obtenir un État est une agression contre la nation turque. Le PYD n’est donc qu’une extension transfrontalière en Syrie de cette même menace, et agit comme le jumeau du PKK principale milice insurgée kurde de Turquie et classée terroriste un peu partout. Si autonomie kurde en Syrie il devait y avoir — toujours selon la doctrine étatique turque — alors le séparatisme kurde en Turquie en serait encouragé. Une telle éventualité représenterait un péril existentiel pour la nation turque, toujours selon la classe politique turque et ses flamboyants partisans. Plus près de nous en France, l’Etat français se trouve à protéger les ennemis de l’État turc. Mais la France n’est pas seule, pour paraphraser De Gaulle: la police militaire russe est actuellement entrée dans la ville de Manbij, ville naguère sous contrôle des FDS/YPG. Les forces turques et leurs affidés sont à quelques kilomètres à peine. Voici que l’État russe met en action le souhait du président Macron de ne pas laisser tomber les combattants kurdes de Syrie. C’est aussi compliqué que les guerres d’Italie sous les Borgia.
Beaucoup de frictions à prévoir, en attendant que le président Erdogan enrage.